. — On voit sans peine combien ces destructions doivent être continues et vastes ; tous les jours, nous perdons quelques-uns de nos souvenirs, les trois quarts de ceux de la veille, puis d’autres parmi les survivants de la semaine précédente, puis d’autres parmi les survivants de l’autre mois, en sorte que bientôt un mois, une année ne se retrouvent plus représentés dans notre mémoire que par quelques images saillantes, semblables aux sommets épars qui apparaissent encore dans un continent submergé, destinées elles-mêmes, du moins pour le plus grand nombre, à disparaître, parce que l’effacement graduel est une inondation croissante qui envahit une à une les cimes préservées, sans rien épargner, sauf quelques rocs soulevés par une circonstance extraordinaire jusqu’à une hauteur que nul îlot n’atteint. […] Un homme qui, ayant parcouru une allée de peupliers, veut se représenter un peuplier, ou qui, ayant regardé une grande basse-cour, veut se représenter une poule, éprouve un embarras.