/ 3507
442. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

Coray, atteint et un peu piqué, le lui rendit et le traita presque comme un imberbe, en lui citant un vers d’Aristophane : « Il faut commencer par être rameur avant de mettre la main au gouvernail. » Boissonade n’eut guère jamais, depuis, de ces pointes de polémique : il eût trop craint les représailles. « Rien n’est si bon que la paix », écrivait-il un jour à un helléniste mieux armé que lui et qui sait vivre, quand il le faut, sur le pied de guerre13. […] On a imprimé de lui une lettre au savant critique hollandais, Wyttenbach, qui lui avait été annoncé comme adversaire ; il y saigne du nez, comme on dit, et rend les armes avant le combat14. […] c’est trop fort, respectable serait assez. » Et il me raconta alors des particularités singulières, telles qu’on ne les savait bien que dans la famille des Débats, sur cet homme original, timide, fier, ennemi de tout joug, même conjugal, amoureux avant tout de sa liberté, jaloux de la reprendre au moment de la perdre, et qu’une circonstance fatale de jeunesse avait dû rendre plus réservé encore et plus retiré. […] Les rendez-vous, quand on en exigeait, étaient à l’Institut encore, les jours de séance, à la Faculté ou au Collège de France après ses leçons. […] Boissonade, qui promettent plus qu’elles ne rendent, qui font venir l’eau à la bouche et qui ne désaltèrent pas, où l’on trouve ce qu’on n’attendait point et presque rien de ce qu’on y cherche, un homme d’esprit parmi les érudits17 me disait : « Il me fait toujours l’effet de tenir entre ses doigts sa tabatière d’écaille, et, en l’entr’ouvrant à peine pour y prendre une prise, de chantonner à demi-voix : J’ai du bon tabac dans ma tabatière ; fai du bon tabac, tu n’en auras pas ! 

/ 3507