On voit qu’il était pour eux un de ces hommes qui, semblables aux dieux cachés, font peu d’œuvres, mais rendent beaucoup d’oracles. […] Quand je voyais le peuple se rendre en foule à l’église, quand j’entendais les membres d’une nombreuse communion de croyants confondre leurs voix dans une même prière : Oui, me disais-je, elle est divine cette loi que les meilleurs des hommes professent, qui dompte l’esprit et console le cœur. […] Le caractère éminemment pensif de cette race germanique lui donne le temps de mûrir ses idées ; elle est lente comme les siècles et patiente comme le temps ; jamais cette race pensive et même rêveuse n’a été assimilée aux idées et aux langues de ces races grecques et latines comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal et nous, qui dérivons d’Athènes ou de Rome ; l’Allemagne dérive de l’Inde et du Gange ; elle parle une langue consommée, savante, circonlocutoire, mais d’une construction et d’une richesse qui la rendent propre à exprimer toutes les images et toutes les idéalités de la poésie ou de la métaphysique. […] L’absence de cette unité politique, qui rend l’Italie impropre jusqu’à présent à conquérir et à garder la possession d’elle-même, rend l’Allemagne impropre à conquérir une primauté littéraire. […] Cependant cette décentralisation, fatale jusqu’ici à l’Italie, nuisible à l’Allemagne, n’empêche pas le génie germanique d’influer puissamment depuis quelques années sur la littérature nouvelle de l’Europe dans ce que l’on appelle romantisme, c’est-à-dire dans cette tendance heureusement novatrice du génie français, italien, britannique, à sortir de la servile imitation des anciens ; à émanciper nos langues en tutelle, et à les rendre enfin originales et libres comme la pensée spontanée du monde moderne ; dans le romantisme il y a une propension évidente à germaniser la littérature moderne.