Pourquoi, parmi tant de souvenirs de l’Iliade repris et entraînés dans les flots du poëte thébain, n’a-t-il pas cité, du moins en preuve de l’unité d’Homère, un des plus beaux témoignages qui aient été jamais rendus par le génie à sa propre puissance, pour flétrir l’injustice et faire durer la gloire ? […] Une autre preuve peut-être que Boileau, qui parfois a si bien compris et rendu le Traite du sublime de Longin, avait trop peu étudié le sublime dans Pindare et n’admirait pas assez le génie de ce grand poëte, c’est qu’il a cru de bonne foi l’avoir imité, dans son ode sur la prise de Namur, ville trop tôt reprise par le roi Guillaume, et ode parodiée alors si plaisamment par le poëte anglais Prior, chargé plus tard d’une ambassade à la cour de France, où Fénelon goûtait beaucoup son entretien, et où Boileau a dû le rencontrer quelquefois. […] La voix, dont les hardis préludes chantant, il y a plus d’un quart de siècle, la grandeur du conquérant de l’Europe en cellule il Sainte-Hélène, célébraient cet aigle qui, abattu et captif, Manque d’air dans la cage, où l’exposent les rois ; cette voix, aujourd’hui proscrite par un contrebas de la fortune, ne serait pas embarrassée pour rendre l’expression littérale et l’accent même du poëte thébain, pour nommer l’oiseau domestique, non moins que sa cage ; et, sans avoir besoin de l’aigle, personnage noble en tout temps, elle dirait ce coq guerroyant au logis (ἐνδομάχης), dont s’effrayait le bon abbé Massieu. […] Mais il ne lui prit jamais, et il ne sut produire, à son exemple, ni ces maximes de calme et de profonde sagesse qui rayonnent d’un éclat pur, au milieu des splendeurs poétiques, ni ces mouvements d’âme, ces rapides évolutions de pensées les plus vives qu’il y ait au monde, ni cette précision singulière en contraste avec l’abondance des images, ni ce mélange, ce choc rapide du sublime et du simple, du terme magnifique et du terme familier, ni cette propriété toute-puissante qui rend présent à tout ce que le poëte a vu dans son plus rare délire.