Mais il y a un écrit de lui, le dernier imprimé de son vivant, et sa dernière production peut-être, que je regrettais de n’avoir pu me procurer, et qui me semblait devoir contenir le dernier mot de son esprit et de son expérience : L’Émigré, roman en quatre volumes, imprimé en 1797 à Brunswick, ne se trouve à Paris dans aucune bibliothèque publique ; je ne connaissais personne qui l’eût jamais lu ni vu, lorsqu’un ami a eu la bonne fortune de le rencontrer à Berlin et l’obligeance de me l’envoyer. […] Une fois sur l’autre rive, il est rencontré, recueilli, entouré de, soins par une noble famille allemande. […] Selon lui, elle n’était nullement nécessaire avant d’éclater, elle était évitable ; elle a été purement accidentelle, en ce sens que « le caractère de ceux qui ont eu part à l’ancien gouvernement (à commencer par le caractère du roi, ennemi de toute résistance) a été le seul principe de la totale subversion de ce gouvernement » ; mais ce caractère de quelques personnes étant donné, et la faiblesse de l’opposition qu’elle rencontrera étant admise au point de départ, M. de Meilhan est bien d’avis que la Révolution en devenait un effet presque nécessaire : « Sa marche, dit-il, a été déterminée et hâtée par cette faiblesse ; le défaut de résistance a rendu tout possible, et, semblable à un torrent qui ne trouve aucune digue, elle a tout dévasté. » Il ne croit donc pas que la Révolution soit directement sortie des écrits de Rousseau ni de ceux des encyclopédistes, comme on le répète souvent, ni qu’elle découle de causes aussi générales : Si l’on suit attentivement la marche de la Révolution, il sera facile de voir que les écrivains appelés philosophes ont pu la fortifier, mais ne l’ont pas déterminée ; parce qu’une maison a été bâtie avec les pierres d’une carrière voisine, serait-on fondé à dire qu’elle n’a été construite qu’en raison de ce voisinage ?