L’idée religieuse s’éveilla alors dans son âme ; il recourut à Dieu par la prière ; se trouvant à Southampton, où les médecins l’avaient envoyé pour changer d’air et se distraire, il y eut une heure, un moment, où dans une promenade qu’il faisait aux environs avec quelques amis, par une brillante matinée, s’étant assis sur une hauteur d’où la vue embrassait la mer et les coteaux boisés du rivage, il sentit tout d’un coup comme si un nouveau soleil s’était levé dans le ciel et lui éclaircissait l’horizon : « Je me sentis soulagé de tout le poids de ma misère ; mon cœur devint léger et joyeux en un instant ; j’aurais pleuré avec transport si j’avais été seul. » On a souvent noté, dans les conversions qui tardèrent longtemps à s’accomplir, ces signes avant-coureurs et comme ces premières atteintes, ces premiers coups de soleil de la grâce. […] La maladie de Cowper continuait encore sous une forme religieuse, et il ressentait souvent des terreurs que ses amis faisaient tout pour combattre et pour guérir, mais que pourtant leur doctrine rigide sur la prédestination et sur la grâce n’était que trop propre à fomenter : « Il se présente à moi toujours formidable, disait-il de Dieu, excepté quand je le vois désarmé de son aiguillon pour l’avoir plongé comme en un fourreau dans le corps de Jésus-Christ. » Ces terribles images du Jugement et de la réprobation, même au moment où il croyait en avoir triomphé, le poursuivaient donc et dominaient encore sa pensée. […] Newton essaya d’occuper l’imagination de Cowper et de la détourner par une voie religieuse encore et déjà poétique, en l’engageant à écrire de concert avec lui quelques hymnes pour la petite communauté du lieu. […] Une pensée se présente naturellement dans l’étude de cette maladie religieuse de Cowper : c’est qu’il eût été à souhaiter pour lui qu’entre un Dieu si puissant et si mystérieux jusque dans ses miséricordes et la créature si prosternée, il eût su voir encore, et se donner quelques points d’appui rassurants, soit dans une Église visible ayant pour cela autorité et pouvoir, soit dans des intercesseurs amis comme le sont pour des âmes pieuses la Vierge et les saints ; mais, lancé seul, comme il l’était, sur cet océan insondable des tempêtes et des volontés divines, le vertige le prenait malgré lui, et il avait beau adorer l’arbre du salut, il ne pouvait croire, pilote tremblant et timide, qu’il ne fût point voué à un inévitable naufrage.