Un poëte commence par être un poëte ; celui qui doit le devenir le sait presque dès l’enfance ; la poésie a été familière à ses premiers regards ; elle a pu être son premier goût, sa première passion quand le mouvement des passions s’est éveillé dans son sein. […] Un peuple qui marche ainsi selon sa première impulsion, et ne cesse point de s’appartenir tout entier, jette sur lui-même des regards de complaisance ; le sentiment de la propriété s’attache pour lui à tout ce qui le touche, la joie de l’orgueil à tout ce qu’il produit ; ses poëtes animés à lui retracer ses propres faits, ses propres mœurs, sont certains de ne rencontrer nulle part une oreille qui ne les entende, une âme qui ne leur réponde ; leur art est à la fois le charme des dernières classes de la société et l’honneur des conditions les plus élevées. […] Les scènes familières de la vie s’étaient seules offertes à sa pensée ; sa ville natale, la Galerie du palais, la Place royale, voilà où il place la scène de ses comédies ; les sujets en sont timidement empruntés à ce qui l’environne ; il ne s’est pas encore détaché de lui-même ni de sa petite sphère ; ses regards n’ont pas encore pénétré jusqu’aux régions idéales que parcourra un jour son imagination. […] Est-il étrange que cette mine féconde et ce genre facile aient attiré d’abord les regards de Shakespeare ? […] Le génie puissant dont le regard avait embrassé la destinée humaine n’en pouvait méconnaître le sublime secret ; un instinct sûr lui révélait cette explication dernière, sans laquelle il n’y a que ténèbres et incertitude.