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804. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

Il y a des personnes peut-être qui s’imaginent qu’il suffit d’être riche, d’avoir un bon cuisinier, une maison confortable et située dans un bon quartier, une grande envie de voir du monde, et de l’affabilité à le recevoir, pour se former un salon : on ne parvient de la sorte qu’à ramasser du monde pêle-mêle, à remplir son salon, non à le créer ; et si l’on est très riche, très actif, très animé de ce genre d’ambition qui veut briller, et à la fois bien renseigné sur la liste des invitations à faire, déterminé à tout prix à amener à soi les rois ou reines de la saison, on peut arriver à la gloire qu’obtiennent quelques Américains chaque hiver à Paris : ils ont des raouts brillants, on y passe, on s’y précipite, et, l’hiver d’après, on ne s’en souvient plus. […] Dès l’année 1743, cette femme d’intrigue a des éclairs de coup d’œil qui percent l’horizon : « À moins que Dieu n’y mette visiblement la main, écrit-elle, il est physiquement impossible que l’État ne culbute. » C’est cette maîtresse habile que Mme Geoffrin consulta et de qui elle reçut de bons conseils, notamment celui de ne refuser jamais aucune relation, aucune avance d’amitié ; car si neuf sur dix ne rapportent rien, une seule peut tout compenser ; et puis, comme cette femme de ressource disait encore, « tout sert en ménage, quand on a en soi de quoi mettre les outils en œuvre ». […] S’étant de bonne heure posée en vieille femme et en maman des gens qu’elle reçoit, elle a un moyen de gouvernement, un petit artifice qui est à la longue devenu un tic et une manie : c’est de gronder ; mais c’est à faire à elle de gronder.

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