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502. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

Que l’on se figure donc un atelier typographique où les casses, organismes géants, contiennent non pas des lettres, non pas des mots entiers, comme on l’a expérimenté, mais des phrases ; cela sera l’image de certains cerveaux : « A…, destiné à la noble carrière des armes, recevait une éducation virile, et se préparait à porter dignement le nom de son père […] Dans l’autre cas, au contraire, le paysage écrit n’est pas une description, mais une construction de logique élémentaire ; les mots échouent à prendre des postures nouvelles, qu’aucune réalité intérieure ne détermine ; ils se présentent nécessairement dans l’ordre familier où la mémoire les a reçus : ainsi depuis cinq siècles les poètes français inférieurs chantent, avec les mêmes phrases nulles, le printemps virgilien. […] Il y a donc deux classes de clichés, ceux qui représentent des images dont l’évolution, entièrement achevée, les a menés à l’abstraction pure ; et ceux dont la marche vers l’état abstrait s’est arrêtée à moitié chemin, — parce qu’ils n’avaient reçu à l’origine qu’un organisme inférieur et une forme médiocre, parce qu’ils manquaient d’énergie et de beauté. […] Le nombre des combinaisons possibles (il y a peut-être cent mille clichés dans Goyer-Linguet) touche à l’infini dans l’absolu ; elles sont toutes mauvaises, et le jeu est dangereux qui habitue l’esprit à recevoir, sans travail et sans lutte, la becquée.

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