On n’y était reçu que sur une recommandation de ces messieurs ou de quelque autorité pieuse. […] Ma douceur, qui vient souvent d’un fond d’indifférence ; mon indulgence, qui, elle, est très sincère et tient à ce que je vois clairement combien les hommes sont injustes les uns pour les autres ; — mes habitudes consciencieuses, qui sont pour moi un plaisir ; — la capacité indéfinie que j’ai de m’ennuyer, venant peut-être d’une inoculation d’ennui tellement forte en ma jeunesse, que j’y suis devenu réfractaire pour le reste de ma vie ; — tout cela s’explique par le milieu où j’ai vécu et les impressions profondes que j’ai reçues. […] Voilà pourquoi je reçois un si grand nombre de lettres d’inconnus et d’anonymes ; voilà pourquoi aussi je suis si mauvais correspondant. […] Le déplacement d’un atome rompait la chaîne de faits fortuits qui, au fond de la Bretagne, me prépara pour une vie d’élite ; qui me fit venir de Bretagne à Paris, qui, à Paris, me conduisit dans la maison de France où l’on pouvait recevoir l’éducation la plus sérieuse ; qui, au sortir du séminaire, me fit éviter deux ou trois fautes mortelles, lesquelles m’auraient perdu : qui, en voyage, me tira de certains dangers où, selon les chances ordinaires, je devais succomber ; qui fit, en particulier, que le Dr Suquet put venir à Amschit me tirer des bras de la mort, où j’étais enserré. […] Je reçois plusieurs fois par an une lettre anonyme, contenant ces mots, toujours de la même écriture : « Si pourtant il y avait un enfer !