Et enfin, répandant sur tout le drame les reflets de sa pénétrante sagesse et de sa plus touchante pitié, et y éteignant toute cette vie qui y pétille et brûle pour la rendre plus douce à la Mort, — à la Mort qui va venir tout à l’heure, — il y a un des personnages les plus délicieusement nuancés de tout le théâtre de Shakespeare, le frère Laurence, l’aimable prêtre, la bonté de Dieu dans un homme, ce rôle savamment composé que s’était réservé Shakespeare, quand il jouait, ce délicat Shakespeare, ce grand acteur exquis, à la voix de médium veloutée et à la physionomie « purement humaine », comme l’a très bien remarqué Tieck ; — car rien d’animal ou d’inférieur ne pourrait tacher, même une minute, en y passant, la calme splendeur de l’angle facial de Shakespeare ! […] Mais nous ignorons complètement ce que fut la distribution des rôles, la composition de la salle et l’émotion de l’auditoire. […] C’est là, en effet, que vous trouverez ce personnage charmant du Fou du roi dont la folie est une sagesse, et cet admirable rôle du possédé que joue Edgar pour se déguiser, cet insensé de Pauvre Tom, dont l’effet fut si grand que la première édition du drame de Shakespeare portait ce titre : Vie historique du Roi Lear et de ses filles, avec la vie infortunée d’Edgar, fils du comte de Glocester, et sa sombre humeur assumée de Tom de Bedlam (1608). […] Lui, l’auteur étrange, passionné et cruel, d’Othello, Hamlet, de Macbeth et de Richard III, a, dans l’ordre de la pensée, les mêmes qualités que César, dont il a fait un si beau drame, et Alcibiade, dont il aurait pu en faire un (car il n’en a fait qu’un bout de rôle dans Timon), ont eues dans l’action tous les deux, et ces qualités délicieuses et clémentes, et divinement irrésistibles, il les a particulièrement montrées dans toute leur suavité en ce drame de Henri V.