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791. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Je crois, en lisant ces évanouissements, ces morts si promptes, me retrouver avec les personnages, assez semblables, du bon abbé Prevost, ou plutôt je me promène véritablement dans les bosquets de Saint-Ouen où Mlle Necker égarait ses rêves, dans les jardins d’Ermenonville où tant de pèlerinages allaient s’inspirer. […] Fontanes, poursuivant cette contradiction piquante, avançait que, toutes les fois que le rêve de la perfectibilité philosophique s’empare des esprits, les empires sont menacés des plus terribles fléaux : « Le docte Varron comptait de son temps deux cent quatre-vingt-huit opinions sur le souverain bien,… du temps de Marius et de Sylla ; c’est un dédommagement que se donne l’esprit humain. » Selon Fontanes, qui cite à ce sujet une phrase de Condorcet, ce serait à Voltaire le premier qu’on devrait cette consolante idée de perfectibilité. […] Mais, au sortir des rêves du sentiment, des espérances et des déceptions romanesques, nous n’en sommes encore qu’aux années de la pleine action et du triomphe. […] Mme de Staël, en revenant si fréquemment sur ce rêve, n’avait pas à en aller chercher bien loin des images : son âme, en sortant d’elle-même, avait tout auprès de quoi se poser ; au défaut de son propre bonheur, elle se rappelait celui de sa mère, elle projetait et pressentait celui de sa fille59. […] Coppet, c’est l’Élysée que tous les cœurs, enfants de Jean-Jacques, eussent naturellement prêté à la châtelaine de leurs rêves.

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