Je crois, en lisant ces évanouissements, ces morts si promptes, me retrouver avec les personnages, assez semblables, du bon abbé Prevost, ou plutôt je me promène véritablement dans les bosquets de Saint-Ouen où Mlle Necker égarait ses rêves, dans les jardins d’Ermenonville où tant de pèlerinages allaient s’inspirer. […] Fontanes, poursuivant cette contradiction piquante, avançait que, toutes les fois que le rêve de la perfectibilité philosophique s’empare des esprits, les empires sont menacés des plus terribles fléaux : « Le docte Varron comptait de son temps deux cent quatre-vingt-huit opinions sur le souverain bien,… du temps de Marius et de Sylla ; c’est un dédommagement que se donne l’esprit humain. » Selon Fontanes, qui cite à ce sujet une phrase de Condorcet, ce serait à Voltaire le premier qu’on devrait cette consolante idée de perfectibilité. […] Mais, au sortir des rêves du sentiment, des espérances et des déceptions romanesques, nous n’en sommes encore qu’aux années de la pleine action et du triomphe. […] Mme de Staël, en revenant si fréquemment sur ce rêve, n’avait pas à en aller chercher bien loin des images : son âme, en sortant d’elle-même, avait tout auprès de quoi se poser ; au défaut de son propre bonheur, elle se rappelait celui de sa mère, elle projetait et pressentait celui de sa fille59. […] Coppet, c’est l’Élysée que tous les cœurs, enfants de Jean-Jacques, eussent naturellement prêté à la châtelaine de leurs rêves.