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406. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Quel rêve ! et quel rêve absurde contre le genre humain ! […] Vous voyez bien que c’est un rêve plus aisé à déclamer qu’à reconstruire ; vous voyez bien que, pour reconstruire ce rêve de l’empire maritime, territorial et aristocratique de Venise, Il faudrait d’abord que l’Angleterre ne fût pas née, et n’eût pas succédé à Venise dans la monarchie navale et commerciale du monde ; Il faudrait que la route des Indes par le cap de Bonne-Espérance n’eût pas été découverte ; Il faudrait que l’Amérique elle-même ne fût pas sortie des flots à la voix de Colomb, et que ce continent n’eût pas créé un échange nouveau et immense entre les deux mondes, un déplacement de la Méditerranée à l’Océan ; Il faudrait que l’Angleterre ne possédât ni Corfou, ni Malte, ni Gibraltar ; que la France ne possédât ni Toulon ni Marseille ; que Constantinople ne possédât ni les Dardanelles ni le Bosphore ; il faudrait enfin que l’Allemagne, devenue puissance navale et commerciale à son tour, n’eût pas créé Trieste, ou qu’elle y renonçât pour complaire à l’ombre de Venise ; il faudrait que l’Allemagne ne possédât pas dans Trieste le débouché nécessaire à l’écoulement des produits de soixante millions d’hommes germains, en rapports de plus en plus étroits avec tout l’Orient ; Il faudrait que l’Allemagne consentît à se laisser murer dans ses terres au fond du golfe Adriatique, par une nouvelle Venise qui lui en fermerait les flots.

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