Depuis ce temps, auquel nous touchons encore, la jalousie et la défiance populaires, ces seules vertus de la démocratie américaine, qui la rendent stupide quand elles ne la rendent pas féroce, n’ont pas permis à une seule grande nature de citoyen d’arriver à la présidence de la république américaine ; ils ont craint que leur premier magistrat n’eût des pensées plus élevées qu’eux ; ils n’ont pardonné qu’à une certaine médiocrité du parti bourgeoisement probe et intellectuellement incapable de prévaloir dans les élections et d’exercer pour la forme une autorité centrale sans pouvoir, un certain rôle de grand ressort neutre de leur anarchie réelle, ressort qui obéit au doigt de la constitution démagogique, mais qui n’imprime ni halte ni mouvement. […] Leurs salons se tiennent dans les hôtelleries ; leurs cercles d’hommes, qui ne sont tempérés par aucune bienveillance et par aucune politesse féminine, ne sont que des clubs de trafiquants acharnés utilisant leur repos même pour leur fortune à la fin du jour, fiers de ne connaître que ce qui rapporte, et ne s’entretenant que des entreprises réelles ou illusoires où l’on peut centupler son capital. […] XXI Il est bien vrai que la littérature des États-Unis avait eu, avant Audubon, quelques essais d’histoire d’un mérite relatif réel, un germe de poète dans un homme distingué mais non original, enfin deux romanciers dans Washington Irving et dans Cooper, dont les ouvrages, imités heureusement de Walter Scott, l’Homère écossais, ont fait sensation il y a vingt-cinq ans en Europe. […] À sa longue chevelure, à son col découvert, à l’indépendance de ses manières, à la mâle élégance qui le caractérisait, vous n’eussiez pas manqué de dire : Cet homme n’a pas vécu longtemps dans la vieille Europe ; notre civilisation, mère de la politesse affectée qui s’est répandue des cours dans les villes et des villes dans les villages, substituant de vains symboles à des sentiments réels, ne l’a pas marqué de son empreinte vulgaire.