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1698. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Nos tragédies sont fondées sur des passions et des sentiments, celles des Grecs sur des infortunes ; nous aimons à nous attendrir sur les maux que l’homme se fait à lui-même, les Grecs aimaient à pleurer sur les malheurs dont le sort accable les mortels ; notre théâtre nous présente des disgrâces imaginaires et factices, celui d’Athènes offrait aux spectateurs des calamités trop réelles. […] Le prince qui osa seul opposer une digue au torrent de la puissance romaine, a bien plus de grandeur réelle qu’Agamemnon, Achille, Pyrrhus, Oreste, Thésée ; mais ces rois grecs, qui n’étaient que des brigands, empruntent de la poésie un charme presque magique, et l’on peut dire que la fable a été plus favorable à Racine que l’histoire. […] Achille parle, dans Iphigénie, comme s’il disposait des événements et des destins ; il a l’air de braver les dieux et les hommes ; mais sa force réelle n’est pas en proportion avec ses discours : car, sans le vent, sa valeur ne peut rien ; et si les dieux veulent Iphigénie, il faudra qu’il renonce à sa maîtresse. […]  » Il n’est que trop vrai que de nouveaux ridicules, de nouveaux abus, de nouveaux vices succèdent continuellement aux anciens ; telle est la marche de l’espèce humaine : c’est à quoi se réduit sa prétendue perfectibilité : nous ne changeons que d’écorce et d’habit ; le fond reste le même ; nous sommes autres sans être meilleurs ; si nous gagnons d’un côté, nous perdons de l’autre : il n’y a ni progrès réel ni véritable réforme ; il n’y a qu’une forme nouvelle appliquée à des défauts et à des passions qui remontent jusqu’à l’origine du monde ; et cependant chaque siècle s’applaudit et se caresse lui-même dans sa petite et sotte présomption : il prétend effacer tous les siècles qui l’ont précédé : si on veut l’en croire, il est le seul qui ait eu de l’esprit et du sens, qui ait découvert les véritables sources du bonheur public ; tous les autres n’ont fait que radoter.

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