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1564. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

Nous avons été touchés du beau & du bon avant que d’entendre & de faire les mots de beauté & de bonté ; & les hommes ont été pénétrés de la réalité des choses, & ont senti une persuasion intérieure avant que d’introduire le mot de vérité. […] C’est ainsi que les différentes privations, & l’absence des objets dont la présence faisoit sur nous des impressions agréables ou désagréables, ont excité en nous un sentiment réfléchi de ces privations & de cette absence, & nous ont donné lieu de nous faire par degrés un concept abstrait du néant même : car nous nous entendons fort bien, quand nous soûtenons que le néant n’a point de propriétés, qu’il ne peut être la cause de rien ; que nous ne connoissons le néant & les privations que par l’absence des réalités qui leur sont opposées. […] Cette imagination ne donne aucune réalité au prétendu petit poisson, & n’empêche pas que tout ce que les Anciens ont cru du remora ne soit une fable, comme ce qu’ils se sont imaginés du phénix, & ce qu’ils ont pensé du sphinx, de la chimere, & du cheval Pégase. […] Les abstractions sont dans le discours ce que certains signes sont en Arithmétique, en Algebre & en Astronomie : mais quand on n’a pas l’attention de les apprécier, de ne les donner & de ne les prendre que pour ce qu’elles valent, elles écartent l’esprit de la réalité des choses, & deviennent ainsi la source de bien des erreurs.

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