/ 2483
1007. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

Mais, en prononçant ces mots, nous n’affirmons rien de lui, sinon qu’il est ; nous ne disons rien de ce qu’il est ; la question est réservée. — Ce que nous affirmons en second lieu, c’est qu’il est un être permanent ; il y a en lui quelque chose qui dure et demeure le même. […] Mais, en disant cela, je ne fais qu’affirmer la permanence de quelque chose en eux et en moi ; je ne dis pas ce qu’est ce quelque chose ; je pose sa durée, non sa qualité ; la question est réservée encore. — Ce que nous affirmons en troisième lieu, c’est que ce quelque chose est lié à tel corps organisé ; j’ai le mien, Pierre et Paul ont chacun le leur ; et nous voulons dire par là que, en règle générale, certains changements de mon corps provoquent directement en moi telles sensations, et que certains événements en moi, émotions, voûtions, provoquent directement dans mon corps tels changements ; même règle pour Pierre, Paul et leurs corps. Mais cette règle ne fait que poser un rapport constant entre certains changements de tel corps et certains états du quelque chose inconnu ; il reste toujours à chercher ce qu’il est ; la question est réservée une dernière fois. — Après avoir constaté son existence, sa permanence, et sa principale relation, il nous faut trouver les qualités qui le déterminent. […] La plupart des légendes, surtout les légendes religieuses, se forment de la sorte. — Un paysan dont la sœur était morte hors du pays m’assura qu’il avait vu son âme, le soir même de cette mort ; examen fait, cette âme était une phosphorescence qui s’était produite dans un coin, sur une vieille commode où était une bouteille d’esprit-de-vin. — Le guide d’un de mes amis à Smyrne disait avoir vu une jeune fille apportée en plein jour à travers le ciel par la force d’un enchantement ; toute la ville avait été témoin du miracle ; après quinze heures de questions ménagées, il fut évident que le guide se souvenait seulement d’avoir vu ce jour-là un petit nuage dans le ciel. — En effet, ce qui constitue le souvenir, c’est le recul spontané d’une représentation qui va s’emboîter exactement entre tel et tel anneau dans la série des événements qui sont notre vie. […] Je veux mouvoir mon bras, et je prévois qu’il se mouvra ; je secoue une sonnette, et je prévois qu’elle rendra un son clair ; j’allume du feu sous la chaudière d’une locomotive, et je prévois que la vapeur dégagée poussera le piston ; je lis et relis avec attention un morceau de poésie, et je prévois que tout à l’heure je pourrai le répéter par cœur ; j’adresse une question à mon voisin, et je prévois qu’il me répondra.

/ 2483