C’est la région des vérités abstraites, des lois, des formules, accessible seulement à l’esprit pur, le domaine mystérieux de l’impalpable et de l’invisible où règnent les principes de toutes choses comme les Mères du second Faust « qui trônent dans l’infini, éternellement solitaires, la tête ceinte des images de la vie, actives, mais sans vie. » Tous deux créateurs à leur manière : l’un parce qu’il sait manier les couleurs, les mots, les formés pittoresques qui donnent aux idées le vêtement et la vie ; l’autre parce qu’il croit avoir saisi les ressorts cachés qui font mouvoir le monde, les formules fécondes qui traduisent les lois de l’univers et d’où le flot des phénomènes s’échappe comme d’une source indéfectible. […] C’est l’étude pure et simple de ces faits qui peut constituer une science indépendante. […] Je n’ignore pas que dans ces dernières années on a répété après Maine de Biran et Jouffroy « que l’âme se connaît, se saisit immédiatement. » Mais outre que ces psychologues ont dépensé vingt ou trente ans d’étude avant de découvrir cette connaissance immédiate (ce qui peut paraître assez surprenant), leur découverte ne semble pas nous avancer beaucoup ; car quand on a longtemps et scrupuleusement cherché ce que c’est que cette essence intime ainsi révélée, on n’arrive à trouver que les expressions vagues « d’activité absolue », « d’esprit pur en dehors du temps et de l’espace » : d’où l’on peut conclure que le plus net de notre connaissance consiste encore dans les phénomènes. […] On traite les phénomènes psychologiques comme la mécanique pure traite les corps, les mouvements et les forces. […] Comme par la célébrité des noms qui la représentent, par son accord avec les tendances générales du siècle, par sa mise en harmonie avec les découvertes les plus récentes des sciences physiques et naturelles, par l’originalité de ses recherches et de ses résultats, elle semble tenir le premier rang, et qu’en France d’ailleurs elle est ignorée, ou à peu près, il nous a semblé qu’il ne serait pas inutile d’essayer d’en faire connaître les doctrines ; et que ce travail de pure exposition ne déplairait ni à ceux qui les repoussent ni à ceux qui les acceptent.