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448. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Même depuis sa rentrée en grâce auprès de son père, il paraît peu à Berlin ; marié par pure obéissance, il vit comme s’il ne l’était pas ; il habite le plus ordinairement à Ruppin dont il est gouverneur ; il y exerce son régiment et passe de longues heures à lire, à écrire, à faire de la musique, à disserter avec des amis. […] Quand il le sait malade et qu’il le voit comme prêt à s’évanouir dans sa pure essence, il s’écrie : La seule pensée de votre mort me sert d’argument pour prouver l’immortalité de l’âme ; car serait-il possible que cet être qui vous meut et qui agit avec autant de clarté, de netteté et d’intelligence en vous, que cet être, dis-je, si différent de la matière et du corps, cette belle âme douée de tant de vertus solides et d’agréments, cette noble partie de vous-même qui fait les délices de notre société, ne fût pas immortelle ? […] Pourtant, quoi qu’il fasse, et malgré les transformations ou les échecs que subira sa nature morale première, malgré les démentis et les étonnements qu’elle pourra donner à ceux qui l’auraient jugée plus pacifique et plus pure, c’est sur ces premiers fondements que la force d’âme de Frédéric reposa toujours ; c’est en vertu de l’éducation énergique et de la discipline de ces huit années qu’il demeura constamment l’homme du travail, du devoir et de la patrie. […] Je suis loin d’avoir épuisé l’ami en Frédéric : ses correspondances avec Jordan, avec La Motte-Fouqué, sont des témoignages non moins réels, non moins touchants peut-être que sa correspondance avec M. de Suhm ; mais celle-ci a cet avantage qu’elle est constamment élevée et pure, qu’elle ne contient ni plaisanteries littéraires ou morales d’un goût équivoque, ni mauvais vers.

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