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700. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Biot sur ce parfait isolement et cet aparté de la science, et je ne vois pas pourquoi, arrivés au sommet de leur ordre et à la plénitude de leur vie, les savants ne seraient point légitimement appelés et invités à concourir de leurs lumières à la chose publique, à résoudre tant de questions pratiques et utiles qui intéressent la bonne police des sociétés humaines, et sur lesquelles ils ont qualité, plus que personne, pour décider. […] Biot n’avait point précisément les moyens et les qualités extérieures d’un rôle politique et public de savant ; il n’était point armé extérieurement pour l’attaque et pour la défense ; son geste était mince, familier, un peu cassant ; sa voix claire, un peu fluette, très suffisante dans sa jeunesse pour le professorat, s’était brisée d’assez bonne heure, et portait peu hors d’un cercle intime. […] Arago serait à faire, et, en en retranchant même ce qui ne paraîtrait pas digne de tous deux, il y aurait lieu d’y caractériser deux natures d’esprit et de tempérament tout à fait opposées, et qui devaient presque nécessairement en venir à se contredire et à se combattre : — Arago, ardent, puissant, robuste, doué de génie et capable d’invention, mais qui en fut trop distrait par d’autres qualités qui le tentèrent, par le besoin d’influer, par le talent d’exposer et d’enseigner, par un zèle aussi qu’on peut dire généreux à populariser la science, à en ouvrir à tous les voies et moyens, à en répandre et en propager les résultats généraux ou les applications utiles ; — Biot, esprit étendu, mais nature plus curieuse et plus déliée que riche et féconde, au sourire fin, à la lèvre mince, à la dent aiguë et mordante, dédaigneux du public sur lequel il avait peu de prise, jaloux de garder la science pour les seuls et vrais savants, pour ceux qu’il estimait dignes de ce nom. Il ne cessa d’être contraire à demi-voix à l’influence d’Arago au sein de l’Académie, aux innovations qui tendaient à faire de plus en plus large la part du public, à la divulgation régulière et prompte des discussions et des travaux, telles que l’ont établie les Comptes rendus hebdomadaires des séances.

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