Il y a tant d’autres manières d’employer son temps, quand on est jeune, beau, riche, noble, un pied, je le crois, dans les fonctions publiques, que j’ai peine à m’expliquer, chez quelqu’un qui n’y est pas condamné par le sort, cette précipitation à écrire, à compiler, à copier, à éditer sans prendre même la peine de se relire. […] pourquoi mettre tous les six mois le public dans la confidence de ses tâtonnements, de ses démangeaisons et de ses faiblesses ? […] Mais venir soutenir qu’un morceau tout à fait inconnu jusqu’ici, — ou très peu connu, même en admettant qu’il ait couru et circulé en quelques mains vers 1649, — enlève à Pascal l’honneur d’avoir le premier dégagé la langue et va désormais s’introduire comme de droit, dans l’histoire de notre littérature, entre le Discours de la Méthode et les Provinciales, c’est vraiment imposer ses imaginations à un public trop docile ; c’est trop magnifiquement traiter La Rochefoucauld comme auteur, après l’avoir tant dénigré dans sa vie, au moral. […] On a besoin de se croire supérieur aux autres, de croire qu’on a raison sur eux, qu’on a dans sa main la clef des vérités ; on veut se donner les avantages publics du triomphe. […] L’amour-propre, s’il est fin, change de ton et de voix ; il a des gémissements et des soupirs ; il se fait inquiet sur le sort de ses frères, sur le danger que courent des âmes fidèles et simples ; il faut, à tout prix, préserver les faibles : et l’amour-propre agit et s’en donne alors en toute sûreté de conscience et, comme on dit, à cœur joie : il accuse l’adversaire, il le dénonce, il le conspue, il le qualifie dans les termes les plus outrageux, les plus humiliants ; et comme il ne veut point cependant paraître, même à ses propres yeux, de l’amour-propre, il se retourne, quand il a fini, et se fait humble aussitôt ; il demande pardon à son semblable d’en avoir agi de la sorte : il n’a voulu que le toucher, le convertir ; on assure même qu’il est de force à lui proposer en secret (après l’avoir insulté en public) de lui donner le baiser de paix et de l’embrasser.