De même, en matière de morale, pour se corriger, il faut dépouiller tout amour-propre, et arracher à ses défauts, à ses vices, les noms spécieux qui les décorent et les déguisent : le péché, nommé de son nom laid et propre de péché, ne tentera plus guère. […] Que Denys d’Halicarnasse, grammairien subtil, signale dans un discours de Démosthène toutes les figures de la rhétorique ; ce qui loue vraiment l’orateur, c’est que l’auditeur ne les aperçoit pas, et n’y fait pas réflexion, et que ce qui est figuré lui paraît propre : il n’imagine point d’autre moyen de dire ce que l’orateur voulait dire. […] Pascal en a donné le conseil : « Quand dans un discours se trouvent des mots répétés, et qu’essayant de les corriger, on les trouve si propres qu’on gâterait le discours, il faut les laisser, c’en est la marque. » Et la lecture de ses ouvrages montre qu’il a mis en pratique la leçon qu’il donnait. […] La liberté du mot propre n’a pas été une facilité offerte à la médiocrité : la tâche de l’écrivain n’en a pas été simplifiée, et l’art n’a pas été par-là mis à la portée de tous. Comme l’égalité sociale et politique n’a pas aboli l’inégalité de beauté, de force, de vertu, d’intelligence entre les hommes, ainsi les mots, égaux devant le besoin de l’écrivain, ont gardé leur physionomie propre, leur couleur, leur élégance, leur dignité, leur richesse.