Un Anglais du seizième siècle, génie sublime et inculte, ignorant les règles du théâtre, et les suppléant par tous ces artifices qu’un heureux instinct suggère, avait, dans ses drames monstrueux, étendu indéfiniment l’espace et la durée, renfermé des lieux et des années sans nombre, confondu les conditions et les langages, méconnu ou violé le costume distinctif des époques et des contrées diverses ; mais, observateur attentif et peintre fidèle de la nature, il avait répandu, dans ses compositions désordonnées et gigantesques, une foule de ces traits naïfs, profonds, énergiques, qui peignent tout un siècle, révèlent tout un caractère, trahissent toute une passion. […] et nos poètes n’ont-ils pas incessamment puisé dans ces inépuisables sources d’émotions profondes ? […] Ils savent que, dans les arts, la partie la plus noble de nous-mêmes veut autre chose que l’imitation de ce qui tombe sous nos sens ; que, dans la poésie particulièrement, l’âme et l’imagination demandent, pour aliment de leur dévorante activité, ces sentiments profonds et en quelque sorte infinis, dont la religion et l’amour sont les deux principales sources ; et que l’esprit même ne saurait être entièrement captivé qu’à l’aide de cet art délicat, qui consiste à ne pas arrêter avec trop de fermeté les formes de certains objets, et à étendre sur quelques autres un voile qui les laisse entrevoir ou seulement soupçonner.