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31. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Paul Bourget, Études et portraits. »

11 Mais j’ai relu avec un plaisir profond les notes sur l’île de Wight, sur l’Irlande et l’Écosse, sur les lacs anglais, sur Oxford et sur Londres. […] Antithèses étranges et profondes, plus profondes qu’ailleurs, ou plus sensibles, ou plus souvent rencontrées : Entre le soleil et la pluie ou le brouillard, entre les paysages de gares, de docks, d’usines et de mines et les paysages de bois, de lacs et de pâturages ; Entre le passé et le présent, qui partout se côtoient, dans les institutions, dans les mœurs, dans les édifices ; Entre la richesse formidable et l’épouvantable misère ; Entre le sentiment inné du respect et l’attachement inné à la liberté individuelle ; Entre la beauté des jeunes filles et la laideur des vieilles femmes ; Entre l’austérité puritaine et la brutalité des tempéraments ; Entre le don du rêve et le sens pratique, l’âpreté au travail et au gain ; Entre les masques et les visages, etc. […] Je vois que c’est le peuple le plus rapace et le plus égoïste du monde ; celui où le partage des biens est le plus effroyablement inégal, et dont l’état social est le plus éloigné de l’esprit de l’Évangile, de cet Évangile qu’il professe si haut ; celui chez qui l’abîme est le plus profond entre la foi et les actes ; le peuple protestant par excellence, c’est-à-dire le plus entêté de ce mensonge de mettre de la raison dans les choses qui n’en comportent pas… Nous sommes, certes, un peuple bien malade ; mais, tout compte fait, nous avons infiniment moins d’hypocrisie dans notre catholicisme ou dans notre incroyance, dans nos mœurs, dans nos institutions, même dans notre cabotinage ou dans nos folies révolutionnaires.

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