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1560. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Et elle ajoute qu’elle n’est pas attirée par le livre, mais bien par le théâtre, déclarant, du haut d’une vue assez profonde de l’époque, que dans ce moment, où tout se précipite, il est besoin du succès immédiat, qu’il n’y a pas pour les gens de l’heure présente, à attendre les revanches, que des oseurs, comme mon frère et moi, ont obtenues, que du reste, elle trouve, que le théâtre est un meilleur metteur en scène de la passion que le livre. […] Vraiment ils sont curieux chez ces ignorants de la maladie, les regards profonds avec lesquels ils semblent vous demander de leur ôter leur mal. […] » Ce mot profond amène dans la conversation, la légende du Professeur de paresse, une légende, que Daudet a entendu raconter en Afrique. […] Et mes yeux ont gardé de ma chère parente, le souvenir de loin, comme dit le peuple, le souvenir de ses cheveux bouffant en nimbe, de son front bombé et nacré, de ses yeux profonds et vagues dans leur cernure, de ses traits à fines arêtes, auxquels la phtisie fit garder, toute sa vie, la minceur de la jeunesse, du néant de sa poitrine dans l’étoffe qui l’enveloppait, en flottant, des lignes austères de son corps ; — enfin de sa beauté spirituelle, que, dans mon roman, j’ai battue et brouillée avec la beauté psychique de Mme Berthelot. […] Alors, devenu plus grand je commençai à perdre la petite appréhension timide, que j’éprouvais aux côtés de ma tante, je commençai à me familiariser avec sa douce gravité et son sérieux sourire, remportant au collège des heures passées près d’elle, sans pouvoir me l’expliquer, des impressions plus profondes, plus durables, plus captivantes, toute la semaine, que celles que je recevais ailleurs.

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