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2476. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Il commence toujours par railler l’enfantillage des histoires qu’il raconte, la conception religieuse impliquée par le rôle qu’y jouent les dieux, et l’absurdité des moyens qui amènent les situations ; mais, ces situations une fois produites, il cesse de railler, il exprime avec la plus émouvante vérité les sentiments des personnages qu’elles étreignent ; et, pareillement, ces dieux dont il bafouait tout à l’heure la figure populaire, il leur restitue, avec la beauté plastique, la beauté morale, conformément aux théories de ses amis Anaxagore et Socrate. […] Et je n’ajouterai point que Emma pourrait songer aussi à l’humanité, se dire que ce pauvre bébé aux jambes rétractées aura peut-être du génie, qu’il produira peut-être des livres et des musiques par où l’âme des autres hommes sera agrandie ou consolée, ou des inventions par où sera soulagée leur dure condition terrestre, et qu’ainsi elle risque de les frustrer d’un accroissement du patrimoine commun, et en même temps de voler la gloire à son petit martyr. […] Dumas fut ibsénien avant Ibsen : du premier coup il fut plus qu’ibsénien, et produisit, voilà vingt et un ans, un exemplaire de la dernière et de la plus étrange manière ibsénienne. […] Il est vrai qu’on pourrait aisément produire et défendre une définition du mélodrame qui serait exactement l’inverse de celle que je viens de rapporter. […] Voilà donc, disais-je, que, sans y songer, ces ennemis de la guerre nous étalent tout le long de leur drame une foule de beaux sentiments qui, sans la guerre, n’auraient point l’occasion de se produire, qui vivent de la guerre et s’en nourrissent, comme d’orgueilleuses fleurs, des lis candides sur un charnier… Car la guerre, en abaissant subitement le prix de la vie humaine, nous rend moins malaisé l’effort de préférer à la vie même, selon le mot du poète, tout ce qui fait qu’il vaut la peine de vivre (vivendi causas).

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