Il n’est pas moins certain que l’inspiration première et principale de La Divine Comédie est une inspiration toute personnelle, et, si l’on peut dire, lyrique. […] Cet amour, dont les principaux accidents et les aventures se bornèrent à quelques saluts, à quelques regards échangés et à quelques sourires, tout au plus à de rares paroles, et qui ne devait empêcher aucune des deux personnes qui s’en entretenaient ainsi, de s’engager un peu plus tôt ou un peu plus tard dans les liens positifs du mariage ; cet amour qui semblait d’ailleurs à jamais rompu par la mort prématurée de Béatrix vers l’âge de vingt-six ans, devint et continua d’être la pensée profonde, supérieure, le ressort le plus élevé de la conduite et des entreprises de Dante. […] Ses animosités, ses rancunes personnelles et ses haines, ses indignations patriotiques et généreuses, ses tendres souvenirs des amis, des maîtres et des compagnons regrettés et pleurés, il y introduisit successivement tout cela par une suite d’épisodes coupés et courts, la plupart brusquement saillants avec des sous-entendus sombres, et il était permis à ceux qui restaient en chemin dans la lecture et qui ne la poussaient point au-delà d’un certain terme, de ne pas apercevoir dans l’éloignement la figure rayonnante de Béatrix et de ne pas lui faire la part principale et souveraine qui lui revient. […] Mais comme Dante est un génie compliqué et qui pense toujours à plus d’une chose à la fois, il n’est pas moins vrai qu’en même temps que l’apothéose de Béatrix, de la femme aimée, est le but principal de La Divine Comédie, le poète, pour mieux parer et honorer cette âme céleste, lui a prêté bien des traits allégoriques par lesquels il tend à la transformer insensiblement et à la confondre dans la plus noble et la plus lumineuse des sciences selon le Moyen Âge, dans la Théologie elle-même.