Après des assemblées tenues à Soissons et à Compiègne, et où les principaux croisés n’avaient pu s’accorder ni sur la date du départ ni sur la route à suivre, il fut résolu que l’on s’en remettrait à six messagers ou députés, à qui l’on donnerait pleins pouvoirs par lettres afin de traiter des voies et moyens d’exécution, et de passer les marchés pour l’embarquement et le transport De ces députés, deux furent nommés par Thibaut, comte de Champagne, deux par Baudouin, comte de Flandre, et deux par Louis, comte de Blois ; c’est-à-dire que les commissaires choisis représentaient en nombre égal les trois seigneurs les plus qualifiés et les plus puissants d’entre les nouveaux croisés. […] Pourtant, plume en main (si tant est que lui-même il tînt la plume), ou en se disant qu’il allait dicter et composer, il était quelque peu gêné dans l’expression de ses pensées, et, bien qu’il en produisît le principal, il n’en donnait et n’en fixait qu’une partie : de vive voix, dans les occasions et en présence des gens, il était, on doit le croire, bien autrement large et abondant. […] Tant que les Vénitiens croient que le roi de France n’avancera pas en Italie et qu’il ne réussira pas dans ses projets de conquête, ils protestent volontiers de leur amitié et de leurs services désintéressés pour lui ; quand ils le voient s’avancer et vaincre au-delà de leurs prévisions, ils s’effrayent, travaillent à nouer la ligue et dissimulent, non pas si bien toutefois que Commynes, le jour où ils lui apprennent la reddition du château de Naples aux Français, ne lise la consternation sur le visage des principaux dans la chambre du doge : « Et crois que quand les nouvelles vinrent à Rome de la bataille perdue à Cannes contre Annibal, les sénateurs qui étaient demeurés n’étaient pas plus ébahis ni plus épouvantés qu’ils étaient. » Patience ! […] Les principaux chefs, le comte Baudouin de Flandre, le comte Louis de Blois, le marquis de Montferrat, le comte Hugues de Saint-Pol, se saignèrent et empruntèrent tout ce qu’ils purent ; ils envoyèrent toute leur vaisselle d’or et d’argent à l’hôtel du doge.