Soit que ce dernier dans l’éloignement n’ait point assez connu les qualités tardivement développées et les mérites supérieurs qu’on a loués dans ce jeune prince ; soit qu’à titre d’ancien précepteur, il ait été trop disposé à le juger jusqu’au bout comme un enfant ; soit qu’à ce titre de maître et de précepteur toujours, il se soit montré plus sévère et plus exigeant envers lui comme un habile et consciencieux artiste l’est pour son propre ouvrage, il est certain que les lettres de Fénelon qui traitent du duc de Bourgogne sont continuellement remplies des censures les plus précises et les plus nettement articulées, excepté les dernières de ces lettres qui se rapportent aux huit derniers mois de la vie du prince. Ce n’est que dans une lettre du 27 juillet 1711 (et le prince mourut le 18 février 1712) que Fénelon, écrivant au duc de Chevreuse, dit pour la première fois : J’entends dire que M. le Dauphin fait beaucoup mieux. […] Fénelon ne croit donc pas tout ce qu’il rapporte, mais il juge de son devoir d’en informer le jeune prince, pour qu’il avise à conjurer ces faux bruits et à détruire ces préventions injurieuses de l’opinion, de laquelle, après tout, dépendent même les grands de la terre. […] Celui-ci aurait voulu que le jeune prince fît face à l’orage, qu’il demeurât à la tête de l’armée jusqu’à la fin de la campagne, qu’il cherchât à prendre quelque revanche sur la fortune ; il le lui disait non plus sur un ton de directeur spirituel et de précepteur, mais sur le ton d’homme d’honneur et de galant homme qui sent la générosité de conduite dans tous les sens : Quand un grand prince comme vous, Monseigneur, ne peut pas acquérir de la gloire par des succès éclatants, il faut au moins qu’il tâche d’en acquérir par sa fermeté, par son génie et par ses ressources dans les tristes événements. […] Pendant toute l’année 1710 et au commencement de 1711, quand il touche cette corde délicate, Fénelon fait sans cesse résonner le même son : soutenir, redresser, élargir le cœur du jeune prince ; il lui voudrait et il demande pour lui au ciel un cœur large comme la mer.