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1116. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

L’école américaine prétend tirer tout du peuple et de l’élection directe. […] — Certes, je ne prétendrai pas qu’il n’y ait eu chez Mirabeau, chez Sieyès, chez Talleyrand, même chez Rœderer, un grand témoignage d’intelligence dans cette promptitude à entendre les divers aspects de l’humanité, à s’en souvenir, à deviner, à ressaisir sitôt le dessous de cartes et le revers, à se rendre compte du lendemain dès le premier jour, à ne pas s’en tenir au sublime de la passion qu’ils avaient (ou non) partagée un moment ; à discerner, sous la circonstance d’exception, l’inévitable et prochain retour de cette perpétuelle humanité avec ses autres passions, ses infirmités, ses vices et ses duperies sous les emphases. […] Sans prétendre suivre en détail La Fayette dans son personnage politique à dater de 89, j’aurai pourtant à parcourir ses Mémoires pour l’appréciation de quelques-uns de ses actes, pour le relevé de quelques-uns de ses portraits anecdotiques ou de ses jugements. […] L’homme de 89, c’est-à-dire d’audace et d’innovation, mais avec limites et garanties, avec circonspection passé son 14 juillet, et avec arrêt devant les 10 août, l’esprit sans préjugés, courageux, qui apporte au monde sa part d’innovation et de découverte, mais qui ne prétend pas le détruire tout entier pour le refaire ; qui ouvre sa brèche, mais qui reconnaît bien vite, en avançant, de certaines mesures imposées par le bon sens et par le fait, par l’honnêteté et par le goût ; qui n’abjure pas dans les mécomptes, mais se ralentit seulement, se resserre, et attend aux endroits impossibles, sans forcer, sans renoncer… : qu’on achève le portrait, que je craindrais de faire trop vague en le traçant dans cette généralité.

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