Présenté au jeune roi, qui n’avait que six ans plus que lui, La Fare entrait dans le nouveau régime quand tout commençait et sous l’œil du maître ; il n’avait qu’à y tourner son esprit avec quelque suite pour se concilier la faveur : « J’oserais même dire que le roi eut plutôt de l’inclination que de l’éloignement pour moi ; mais j’ai reconnu dans la suite que cette impression était légère, bien que j’avoue sincèrement que j’ai contribué moi-même à l’effacer. » Doué d’un esprit fin et libre, d’un jugement élevé et pénétrant, il aima mieux être indépendant qu’attentif et flatteur, et ce n’est pas ce qu’on peut lui reprocher ; mais il devint évident par la suite qu’il prit souvent pour de l’indépendance ce qui n’était que le désir détourné de se retirer de la presse et de chercher ses aises. […] Il établit bien d’abord qu’il n’aspire point à améliorer la condition de l’homme ou la morale de la vie ; il estime que chacun a en soi, c’est-à-dire dans son tempérament, les principes du bien et du mal qu’il fait, et que les conseils de la philosophie servent de peu : « Celui-là seul est capable d’en profiter, dit-il, dont les dispositions se trouvent heureusement conformes à ces préceptes ; et l’homme qui a des dispositions contraires agit contre la raison avec plus de plaisir que l’autre n’en a de lui obéir. » Ce qu’il veut faire, c’est donc de présenter un tableau de la vie telle qu’elle est, telle qu’il l’a vue et observée : « Tous les livres ne sont que trop pleins d’idées ; il est question de présenter des objets réels, où chacun puisse se reconnaître et reconnaître les autres. » Les premiers chapitres des Mémoires de La Fare, et qui semblent ne s’y rattacher qu’à peine, tant il prend les choses de loin et dans leurs principes, sont toute sa philosophie et sa théorie physique et morale.