Cette position de ministre en expectative se prolongea assez longtemps pour M. d’Argenson, qui s’en accommodait fort bien ; on sentait autour de lui qu’il le deviendrait tôt ou tard : « Mes bonnes intentions, dit-il, et des méditations fort sérieuses que j’ai faites sur les affaires d’État, commencent à percer beaucoup dans le monde ; à quoi joignant de la retraite qui me donne de la rareté, cela me fait passer pour un homme singulier dans le bien, et bien des gens qui ne me connaissent que d’imagination me prônent et m’élèvent. » Il lui venait des offres de services ; on lui proposait de le pousser auprès du roi par les domesticités ; des financiers habiles et administrateurs émérites (un M. de Bercy, gendre de l’ancien contrôleur général Desmarets), lui proposaient de servir sous lui en second, de travailler sous ses ordres, ce qu’ils ne feraient avec personne autre, et qu’il se laissât porter au ministère des finances : « Voilà de l’intrigue, car il en faut, ajoute en toute bonhomie M. d’Argenson, et heureusement j’y suis passivement. […] Dès l’abord on voit le marquis d’Argenson se plaindre de son frère, qui songe avant tout à se pousser dans le monde et à faire son chemin par ce que l’autre appelle les petits moyens ; qui s’est fait moliniste (lui libertin) pour plaire au vieux cardinal et pour obtenir une bonne partie des fonctions essentielles dont on dépouille, sous prétexte de jansénisme, le chancelier Daguesseau : Que je suis malheureux, s’écrie-t-il, d’avoir un frère qui ne songe qu’à lui, qui ne veut que pour lui, qui est en tout le centre de son cercle !