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443. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Il connaît dans la description prosaïque d’objets et d’âmes fictifs, imaginés tels qu’ils soient par eux-mêmes saisissants, le prix du détaillement minutieux qui eu fait apparaître l’image dans l’intelligence par le procédé même de la vision la valeur d’une composition déduite et cohérente qui ne laisse aucun échappatoire au doute, la brièveté qu’il convient de donner à une œuvre pour qu’elle ait tout son effet, les inventions originales dont il faut l’historier pour mieux piquer la curiosité, l’avantage qu’il y a à faire sourdre dans l’âme du lecteur de puissantes émotions, sans l’y solliciter expressément, mais en lui laissant la surprise de les sentir jaillir d’un récit impassible. […] Comme il n’est pas nécessaire à un professeur pour inventer un problème de ressentir l’embarras qu’il causera à ses élèves, qu’un acteur sait simuler la joie et la douleur sans l’éprouver, ou qu’un fabricant de jouets n’a pas à prendre plaisir à ses toupies et à ses cerceaux pour que ceux-ci amusent des enfants, il semble qu’aux artistes que leurs œuvres ont émus, peuvent succéder des artistes passionnants non passionnés, réfractaires à tout sentiment artistique, fournissant, intacts d’émotions fictives, leur génération. […] Les artistes de cette école déforment donc la nature et les hommes, à la fois dans le sens de l’idéalisme et du réalisme en exagérant ce que le monde peut donner d’impressions intenses et fortement saisissantes, en le montrant sublime ou ignoble, tel qu’il serait bon qu’ils fût pour qu’on prit à vivre un intérêt extrême, et qu’entre l’amour du bien et la haine du mal le spectateur subît un conflit d’émotions le plus puissant qui soit fait si toutefois on n’est mis en garde et refroidi par ce que ces outrances ont d’excessif et de fictif, de faux, de théâtral, de purement décoratif et littéraire. […] En présence de ce naufrage, on peut mesurer toutes les conditions d’équilibre délicat que doivent réaliser les départements intellectuels d’un écrivain pour qu’il puisse subsister. […] Enfin ces athlètes intellectuels jouissent d’assez larges cerveaux, pour que l’idéal n’y trouble point la calme et joyeuse contemplation du spectacle réel.

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