Dans le premier poème ils exigeaient simplement des Dieux, en paiement de Walhall, le trésor de leurs ennemis, les Nibelungs : ici, au contraire, c’est Freia, la déesse de la jeunesse et de la beauté qu’ils ont voulu gagner, « pour qu’une femme vienne habiter chez nous autres, pauvres géants, une femme belle et douce ». […] Dans le poème de 1848, la mort de Siegfried était une expiation matérielle, grâce à laquelle Brünnhilde, redevenue Walküre, pouvait annoncer aux Dieux « la puissance éternelle », et leur amener Siegfried, pour qu’il jouisse dans Walhall de « délices éternelles », — tandis qu’Albérich et les Nibelungs redevenaient libres et heureux, affranchis du joug de l’Anneau, qui retournait sourire à tout jamais aux Filles du Rhin, — Dans le nouveau poème, la mort de Siegfried sert « à rendre sachante une femme », à lui enseigner « ce qui est bon au Dieu », Brünnhilde lance de sa main « l’incendie dans le burg resplendissant de Walhall »… « Repose, repose, ô Dieu ! […] Cette genèse est assez intéressante pour qu’on puisse en recommander l’étude même à ceux qui n’aiment point les dates. […] Wagner a voulu créer un nouvel art : mais pour que cette idée théorique se réalise devant nos yeux, pour qu’elle devienne une vérité que palpent nos sens, il faudrait que des milliers d’hommes voulussent ce que Wagner a voulu : or, comment peuvent-ils vouloir ce que lui a voulu, s’ils ne commencent pas par savoir très exactement ce qu’il a voulu ?