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26. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Pour qu’une société soit compliquée, c’est-à-dire pour que des groupements partiels s’y entrecroisent, il faut d’abord qu’elle soit divisée, c’est-à-dire que des groupements partiels s’y distinguent : pas d’intersection possible sans délimitation préalable. […] Si la société est tranchée en sections de même nature, à l’intérieur desquelles presque tous les besoins des individus qu’elles enrégimentent peuvent être satisfaits, alors il n’y a pas de raisons pour que les individus s’affilient à plusieurs groupes à la fois. […] Par exemple, il est vraisemblable qu’une nation qui admet en elle et fait vivre ensemble les groupements les plus nombreux et les plus variés comprendra, toutes choses égales d’ailleurs, un plus grand nombre d’individus qu’un clan qui ne tolère aucune union partielle ; et plus les groupements distingués seront entrecroisés, plus aussi il y aura de chances pour que, entre les individus agglomérés, les contacts se multiplient, c’est-à-dire pour que la densité sociale augmente. […] Toutefois, plus les sociétés entrecroisées sont nombreuses, plus il y a de chances pour qu’il s’en trouve, dans le nombre, qui fassent profession de ne pas tenir compte des distinctions antérieures, et d’interdire l’importation des rangs. […] Le « droit du marché » ne voulait connaître aucune différence de naissance, et c’est peut-être parce que le droit urbain est sorti de ce droit commercial qu’on a pu dire, de l’air des villes, qu’il rendait tous les hommes également libres : « Städtische Luft macht frei182. » D’ailleurs, il n’est pas nécessaire, pour que l’entrecroisement des sociétés aide au succès de l’idée de l’égalité, que l’une ou l’autre des sociétés entrecroisées soit hostile à toute espèce de hiérarchie ; il suffit que les hiérarchies qu’elles acceptent diffèrent, qu’on ne les voie pas toujours parallèles et de même sens, mais que l’une, parfois, renverse l’ordre de l’autre.

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