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231. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

Mais une lecture longue, continue, complète, n’est possible à la plupart même des gens instruits que lorsqu’elle est facile, et l’une des causes qui ont le plus retardé chez nous l’introduction des idées essentielles nées à l’étranger, ç’a été la lenteur des traductions ou importations. […] Grote au suprême degré, dans les premiers volumes où je viens de l’étudier, c’est une rectitude de bon sens et de bon esprit, qui, purgée de toute idée préconçue et de toute superstition traditionnelle, examine, pèse, discute et n’avance rien qui ne lui paraisse probable ou possible ; là où il doute, il le dit, et comme l’incertitude est partout à cette origine de l’histoire grecque qui débute par la mythologie, il ne nous donne d’abord aucune histoire, il ne nous propose aucune explication ni interprétation ; il se borne à exposer chaque récit mythique dans toute son étendue et avec ses variantes, tel que les Grecs se le racontaient entre eux. […] La supposition de Wolf, qui restituait la vérité en tout ce qui était de l’atmosphère générale homérique, du souffle qui animait alors les chantres, et de la crédulité toute poétique des auditeurs, cette supposition allait pourtant à l’excès lorsqu’elle niait, durant toute la durée de la période anté-historique, la composition possible des poèmes et la prédominance probable de deux ou trois génies supérieurs qui avaient dû s’emparer de la matière courante pour en faire de vraies œuvres. […] L’Homère unique, il est vrai, l’Homère simple, individuel, pareil à un Milton antérieur, a cessé d’être possible : après Wolf, après Lachmann, ces docteurs Strauss de l’homérisme, il n’y a plus moyen de tout sauver : du moins il nous reste à la place un Homère en deux ou trois personnes, en deux ou trois génies.

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