… Pauvre et orphelin, j’ai été nourri du pain de votre charité. » Et il ajoute cette note de peur qu’on en ignore : « L’auteur, à l’âge de neuf ans, a été nourri six mois par les sœurs de la Charité de la paroisse Saint-André-des-Arcs, et l’on sait que, jusqu’à l’âge de dix-neuf ans, il a été élevé et nourri par charité. » J’ai insisté sur ce premier point qui avait son importance, et parce que, tout examen fait, nous en pouvons déjà conclure la méchanceté et la malice des ennemis de La Harpe, sa vanité qui s’exalte aisément, et aussi son fonds de générosité et de sincérité, « un de ces fonds propres à porter le repentir », a très bien dit de lui Chateaubriand. […] Dès ce temps-là, il n’était pas très rare de trouver de libres et hardis causeurs qui, parlant de La Harpe à propos de son Éloge de Racine, disaient : « L’Éloge de M. de La Harpe manque d’idées et de vues… Un coup d’œil neuf et profond porté sur la tragédie et sur l’art dramatique, voilà part où il fallait honorer la cendre du grand Racine14. » De telles vues, de telles questions, qui allaient jusqu’à Sophocle et à Shakespeare, pouvaient être particulières alors à quelques esprits ; elles eussent excédé la portée d’un auditoire à cette date et encore durant les trente ou trente-cinq années suivantes. […] L’ancienne tragédie française (je dis ancienne, parce qu’elle n’existe plus) avait ses règles, ses artifices, ses convenantes, que Racine surtout avait connus et portés à la perfection, et dont il était devenu l’exemplaire accompli La Harpe, après Voltaire, les entendait et les sentait plus que personne, et il est le meilleur guide en effet, du moment qu’on veut entrer dans l’économie même et dans chaque partie de ce genre de composition pathétique et savante.