C’est le vieux bourgeois de Paris, non le bourgeois badaud comme l’Étoile, notant jour par jour ce qui se passe dans la rue ; non le bourgeois railleur et frondeur comme Gui Patin, qui se dédommage dans les lettres familières du décorum des fonctions officielles ; non le bourgeois pédant et esprit fort comme Naudé, qui fait le politique parce qu’il a été le secrétaire d’un cardinal italien ; non le bourgeois naïf et licencieux, comme la Fontaine, qui flâne en rêvant ; — c’est le bourgeois parlementaire, né près du palais de justice, ayant jeté aux orties le froc de la basoche, mais ayant conservé le goût des mœurs solides et des sérieuses pensées, le bourgeois demi-janséniste, quoique dévoué au roi, aimant Paris, peu sensible à la campagne, détestant les mauvais poètes et les fausses élégances des ruelles et des salons, peu mondain, indifférent aux femmes, et par cela même un peu gauche, un peu lourd, mais franc du collier. […] Il semble plutôt relever en lui des mérites négatifs que des mérites positifs ; il le loue d’avoir évité les témérités en philosophie, en politique, en religion. […] Ce que Bossuet ne savait pas, ce qu’on ne savait pas de son temps, c’était l’histoire de notre pays, de ses crises, de ses révolutions, de ses institutions changeantes, autrefois libres dans une certaine mesure, peu à peu supprimées et absorbées par le pouvoir absolu ; c’était l’histoire de l’Europe au moyen âge, au xve , au xvie siècle, dans ces temps où l’ordre politique des temps modernes s’était lentement et péniblement élaboré. […] Ce n’est pas seulement sur deux points particuliers que Bossuet me paraît s’être trompé : c’est sur tout un ensemble de faits qui, dans la politique, dans la science, dans la conscience, se sont produits à partir du xve siècle, et qui, espérons-le, sont appelés à conquérir le monde. […] Ne viendraient-elles pas cependant d’une sorte d’orgueil, de cet orgueil de domination que Louis XI avait dans la politique et Bossuet dans la controverse ?