En un mot, si André Chénier eût vécu, je me figure qu’il aurait pu être le grand poëte régnant depuis 95 jusqu’en 1803 ; réaliser admirablement ce que son frère, et Le Brun, et David dans son genre, tentèrent avec des natures d’artiste moins complètes et avec une sorte de sécheresse et de roideur ; exprimer poétiquement, et sous des formes vives de beauté, ce sentiment républicain à la fois antique et jeune, qui respire dans quelques écrits de Mme de Staël à cette époque, et surtout dans sa Littérature considérée par rapport à la Société. André Chénier, vivant, eût été le grand poëte français, immédiatement antérieur à M. de Chateaubriand, lequel date du Christianisme renaissant, du culte restauré, et d’un ordre de sentiments spiritualistes que le génie d’André n’eût sans doute pas accueillis. […] Lorsque les Poésies d’André Chénier parurent, sous la Restauration, les circonstances étaient fort différentes de celles au milieu desquelles il avait écrit, mais elles n’en étaient que plus propices au succès du poëte. […] Au milieu de l’espèce de lac, il y avait un grand courant, un Rhône qui traversait, qui ébranlait la masse et qui finit par la précipiter ; sur ce courant du milieu, s’agitaient des orateurs, des guerriers, la jeunesse à la nage, le peuple, un poëte libéral, un seul vrai, Béranger avec sa lyre ! […] On voit que l’influence posthume du poëte eut lieu sur les artistes plutôt que sur le public.