La matière épique y est donc, dans ces vieux poèmes, et très-abondante, à moitié brute, à moitié travaillée, mais des plus riches. […] Le duel d’Olivier et de Roland dans l’île du Rhône est un autre admirable épisode, qu’il faut détacher d’un poème (Girard de Viane) où manque l’art comme dans presque tous les poèmes de ce temps. […] Je veux parler des Fabliaux, qui ont eu assez longtemps le pas sur les grands poèmes primitifs dans la mémoire d’une postérité légère ; poésie légère aussi et à l’avenant, qui n’en est pas une et qui est même le contraire de la poésie proprement dite, puisqu’elle est toute de bon sens, de gaieté, de moquerie, de gausserie, d’expérience pratique et de malice ; poésie qui n’est plus du tout celle des grands et des nobles, des fiers Garin et des Bégon ; où plus rien ne respire du génie des Francs d’Austrasie ; de laquelle parlaient avec dédain les grands trouvères, les trouvères sérieux, et qui n’en était que plus populaire ; tout à l’usage des vilains, des bourgeois, des marchands et des écoliers. […] tandis que les grands poèmes chevaleresques et les nobles sujets qu’ils traitaient se sont perdus avec le temps, ont été oubliés et n’ont laissé de souvenir que ce qu’il en fallait pour être parodiés, tandis que la grande et hautaine branche des Chansons de geste s’est desséchée et a péri, la branche plus humble des Fabliaux, et plus voisine de terre, n’a cessé de verdoyer, de bourgeonner et de fleurir ; ces vieux récits n’ont cessé de vivre, de se réciter, de se transmettre, et les auteurs connus, qui ont eu l’honneur de nous les conserver en les variant à leur guise, n’ont fait le plus souvent qu’hériter des inconnus qui leur en ont fourni la matière et soufflé l’esprit. […] Quoi qu’il en soit de ces meilleures veines entremêlées et persistantes, et de quelques honorables exceptions qui retardent sur le siècle, telles que la Chronique rimée de Du Guesclin et le Combat des Trente, ce fragment épique du plus rude et du plus grand caractère, ce poème d’honneur qui nous rappelle le ton de la Chanson de Roland, la décadence durant tout le xiv e siècle se continue et, qui pis est, elle s’ignore, elle s’applaudit, elle foisonne et se diversifie à plaisir en toute sorte de subtilités et de fausses gentillesses.