Encore une fois, je ne veux point déprécier l’abbé Delille : tous ceux qui l’ont connu l’ont trop aimé, l’ont trop goûté et applaudi pour qu’il ne dût pas y avoir en lui bien des grâces et une magie de talent : il y a certainement dans le poème de L’Homme des champs, dans celui de L’Imagination (plus que dans Les Jardins), des morceaux qui méritaient tout leur succès quand ce gentil et vif esprit les soutenait de sa présence et de son débit, et quand il les récitait dans les cercles pour qui il les avait composés. […] Laissons les comparaisons inutiles ; je me contenterai de supposer qu’on a une idée générale et suffisante de la manière et de la veine de l’abbé Delille, et je choisirai rapidement, dans le poème de La Tâche, les endroits qui indiquent chez le poète anglais d’autres sources et d’autres inspirations. […] Pour le lire comme il faut et pour bien entendre toutes ses cordes, et aussi pour se bien rendre compte du grand succès de son poème dès qu’il parut, il convient de se rappeler les événements de ces années, la guerre d’Amérique dont l’issue humiliait l’Angleterre, les débats passionnés du Parlement, les triomphes et les crimes dans l’Inde, les premiers efforts de Wilberforce pour l’affranchissement des noirs, les dilapidations et le désordre dans les plus hauts rangs et l’inconduite du jeune prince de Galles : Cowper, en ses moments lucides et tandis qu’il composait La Tâche, voyait tout cela de loin, en gros, mais avec bien de la curiosité et de l’ardeur : « Oh ! […] Le second chant du poème est tout entier consacré aux malheurs publics ou plutôt encore aux calamités physiques et naturelles qui éclatèrent alors (1781-1783) par d’affreux ouragans, par des tremblements de terre soit à la Jamaïque et dans les îles adjacentes, soit plus tard en Sicile et autres lieux. […] Mais, après ce poème excellent, il n’entreprit plus rien d’original qui fût de longue haleine.