Je suis chez Charpentier à faire mes envois, au milieu de commis qui passent, à tout moment, la tête par la porte, et jettent : « C’est X… qui en a demandé 50, et qui en veut 100… Peut-on, en donner 13, à Y… Marpon réclame qu’on lui complète son 1 000… Il veut, si le livre est saisi, les avoir dans sa cachette. » Et dans l’activité, le bruit, le tohu-bohu de ce départ fiévreux, j’écris les dédicaces, j’écris plein de l’émotion d’un joueur qui masse toute sa fortune sur un coup, me demandant, si ce succès, qui se dessine d’une manière si inattendue, va être tout à coup tué par une poursuite ministérielle, me demandant, si cette reconnaissance de mon talent, arrivant avant ma mort, ne va pas être encore une fois éloignée par cette malechance, qui nous a poursuivis, mon frère et moi, toute la vie. […] Ça existe, les rangées, et les employés font tranquillement des paquets, et le départ continue dans une pleine sécurité. […] En vue de Bar-le-Duc, ma pensée va à ce temps, où je suis venu dans cette ville, tout jeunet, tout plein de cette tendre flamme amoureuse, qui suit, à deux ou trois ans de là, la flamme amoureuse de la première communion. […] Un parc qui rappelle en grand le Petit-Trianon, et dans lequel coule une vraie rivière, une cour d’honneur digne d’un Marly, des amas de curiosités, parmi lesquelles il y a une collection de livres et de reliures qui vaut plus d’un million, des armoires toutes pleines de vieilles dentelles, dans lesquelles, il y a de quoi fabriquer des robes de 30 000 francs, etc., etc., etc. […] Mardi 18 décembre Dans ce dîner de l’ancien Magny, aujourd’hui tout plein de ministres et de victorieux de l’heure présente, en la grosse et exultante joie de leur triomphe politique, je me sens un vaincu, l’homme d’une France qui est morte à tout jamais.