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365. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Noces, fêtes, famille, enfants, amis, richesse, santé, pain, vin, plaisir, c’est elle qui nous les donne. […] C’est une jolie estampe à sujet bucolique à mettre entre deux pages de Sully : L’idée qui me reste encore de ces choses-là, nous dit le naïf abbé au commencement de ses Mémoires, me donne de la joie : je revois en esprit, avec un plaisir non pareil, la beauté des campagnes d’alors ; il me semble qu’elles étaient plus fertiles qu’elles n’ont été depuis ; que les prairies étaient plus verdoyantes qu’elles ne sont à présent, et que nos arbres avaient plus de fruits. […] Quand la saison de la récolte était venue, il y avait plaisir de voir les troupes de moissonneurs, courbés les uns près des autres, dépouiller les sillons, et ramasser au retour les javelles que les plus robustes liaient ensuite, tandis que les autres chargeaient les gerbes dans les charrettes, et que les enfants, gardant de loin les troupeaux, glanaient les épis qu’une oubliance affectée avait laissés pour les réjouir. […] Quand le soleil, sur les six heures du soir, commençait à perdre la force de ses rayons, on nous menait promener vers le champ des moissonneurs, et ma mère y venait aussi bien souvent elle-même, ayant toujours mes sœurs et quelques-unes de mes tantes avec elle… Elles s’allaient toutes reposer en quelque bel endroit d’où elles prenaient plaisir de regarder la récolte, tandis que nous autres enfants, sans avoir besoin de ce repos, nous allions nous mêler parmi les moissonneurs, et, prenant même leurs faucilles, nous essayions de couper les blés comme eux… Après la moisson, les paysans choisissaient un jour de fête pour s’assembler et faire un petit festin qu’ils appelaient l’oison de métive (c’est le mot de la province) ; à quoi ils conviaient non seulement leurs amis, mais encore leurs maîtres, qui les comblaient de joie s’ils se donnaient la peine d’y aller. Quand les bonnes gens faisaient les noces de leurs enfants, c’était un plaisir d’en voir l’appareil ; car, outre les beaux habits de l’épousée, qui n’étaient pas moins que d’une robe rouge et d’une coiffure en broderie de faux clinquant et de perles de verre, les parents étaient vêtus de leurs robes bleues bien plissées, qu’ils tiraient de leurs coffres parfumés de lavande, de roses sèches et de romarin ; je dis les hommes aussi bien que les femmes, car c’est ainsi qu’ils appelaient le manteau froncé qu’ils mettaient sur leurs épaules, ayant un collet haut et droit comme celui du manteau de quelques religieux ; et les paysannes, proprement coiffées, y paraissaient avec leurs corps de cotte de deux couleurs.

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