Dussent mes lettres être vues un jour de tout le monde, je ne veux point dérober à la lumière les seuls monuments de ma faiblesse, de mes sentiments. » Allons, puisqu’on nous le permet et qu’on nous y invite même, pénétrons dans l’intérieur virginal où il lui plaît de nous guider. […] Elle en est dès longtemps à ce qu’elle nomme ses fredaines de raisonnement : « L’universalité m’occupe, la belle chimère de l’utile (s’il faut l’appeler chimère) me plaît et m’enivre. » Elle juge en philosophe sa dévotion d’hier, et se l’explique : « C’est toujours par elle que commence quelqu’un qui à un cœur sensible joint un esprit réfléchi. » Son idéal d’amitié pourtant, avec la pieuse et indulgente Sophie, ne reçut point de ralentissement de ce côté-là. Sévère, active, diligente, studieuse tour à tour et ménagère, passant de Plutarque à l’abbé Nollet, et de la géométrie aux devoirs de famille88, la jeune Philipon, aux environs de ses dix-neuf ans, n’échappait pas toujours à une vague mélancolie qu’elle ne songeait point à s’interdire, et qu’elle se plaisait à confondre avec le regret de l’absente amie. […] Sur l’aimable et sage M. de Boismorel, qui joue un si beau rôle dans les Mémoires ; sur Sévelinges l’académicien89, qui n’est pas non plus sans agrément ; sur certain Genevois moins léger, et « dont l’esprit ressemble à une lanterne sourde qui n’éclaire que celui qui la tient ; » sur toutes ces figures de sa connaissance et bientôt de la nôtre, elle jette des regards et des mots d’une observation vive, qui plaisent comme ferait la conversation même.