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490. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Rousseau, le premier des hommes doués du don d’écrire, était par sa nature, par son éducation, par sa place subalterne dans la société, par sa haine innée contre l’ordre social, par son égoïsme, par ses vices, le dernier des hommes comme législateur et comme politique, faux prophète s’il en fut jamais, et dont les dogmes, s’ils étaient adoptés par l’opinion séduite de son siècle, devaient nécessairement aboutir aux plus déplorables catastrophes pour le peuple qui se livrerait à ce philosophe des chimères. […] VII Quant à la souveraineté, c’est-à-dire à ce pouvoir légitime qui régit avec une autorité sacrée les empires, Rousseau la place, la déplace métaphysiquement ici ou là, dans un tel labyrinthe d’abstractions, et lui suppose des qualités tellement abstraites, tellement contradictoires, qu’on ne sait plus à qui il faut obéir, et contre qui il faut se révolter ; tantôt lui donnant des limites, tantôt la déclarant tyrannique ; ici la proclamant indivisible, là divisée en cinq ou six pouvoirs, pondérés, fondés sur des conventions supérieures à toute convention ; collective, individuelle, existant parce qu’elle existe, n’existant qu’en un point de temps métaphysique que la volonté unanime doit renouveler à chaque respiration ; déléguée, non déléguée, représentative et ne pouvant jamais être représentée ; condamnant le peuple à tout faire partout et toujours par lui-même, lui défendant de rien faire que par ses magistrats ; déclarant que le peuple ne peut jamais vouloir que le bien, déclarant quelques lignes plus loin la multitude incapable et perpétuellement mineure. […] Il s’approprie une partie de l’espace, dans une part à lui destinée par la mesure de ses membres qui le remplissent, et qui lui appartient, en s’agrandissant, à la mesure de ses bras, de ses pas, de ses mouvements dans le nid ; et, s’il en est dépossédé, il périt étouffé, faute de place au soleil. […] XXIII Mais à considérer la chose, même philosophiquement, cette égalité des partages change d’aspect, selon qu’on se place à l’un de ces trois points de vue très différents : L’individu, La famille, L’État. […] Doit-elle à chaque individu qui naît à chaque seconde du temps, sur la terre, pour y demander de droit divin une place égale à celle de tout autre homme, lui doit-elle, à ce nouveau venu, de lui faire violemment cette place en déplaçant ceux qui s’en sont fait une avant lui et supérieure à la sienne ?

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