Il faut faire à cette interrogation la réponse que le Tasse fit à un de ses amis, lorsque, voyageant à pied dans le royaume de Naples et parvenu au faîte d’une haute montagne des Abruzzes, il montra du doigt, à cet ami, la terre, la mer, le ciel, les cités, les campagnes, les fleuves qui se déroulaient dans leur immensité sous ses yeux, et lui dit : — Voilà mon poème ! […] Nous la voyons, nous la palpons, nous la foulons sous nos pieds sous forme de terre, nous la contemplons sur nos têtes sous forme d’air, de lumière, de feu, d’astres, de firmament. […] La vieillesse, la contemporanéité, l’égalité de niveau entre l’orateur et le héros couché à ses pieds, complétaient l’éloquence. […] C’est là que je vous verrai plus triomphant qu’à Fribourg et à Rocroi ; et, ravi d’un si beau triomphe, je dirai en action de grâces ces belles paroles du bien-aimé disciple : Et hæc est victoria quæ vincit mundum, fides nostra (la victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c’est notre foi). […] Il était dans la nature que ces foules convoquées dans les temples, au pied de ces tribunes, y prissent l’habitude d’un certain discernement des choses d’esprit ; qu’un orateur leur parût supérieur à un autre ; qu’un langage leur fût fastidieux, un autre langage sympathique ; qu’elles s’entretinssent en sortant du temple des impressions qu’elles avaient reçues ; que leur intelligence et leur oreille se façonnassent insensiblement à la langue, aux idées, à l’art de ces harangues sacrées, et qu’entrées sans lettres dans ces portiques de la philosophie des prédicateurs chrétiens, elles n’en sortissent pas illettrées.