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396. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Il y a, dans cette Légende, des passages d’une grande magnificence, mais il n’y a pas une pièce (je dis : une seule,) d’une beauté soutenue jusqu’à la fin, et il y en a quelques-unes (La Ville disparue) où l’on ne compte pas plus de six beaux vers. […] depuis, beaucoup de vie encore dans ce vieux chêne de poète, mais, franchement, lorsque lis en cette Légende des Siècles, où je trouve des pièces comme L’Abîme, Le Ver de terre, L’Élégie des fléaux, À l’Homme, et bien d’autres qui rappellent les plus purs amphigouris des premières Légendes, et pas une pièce comme Booz, Éviradnus et Le Petit Roi de Galice, il m’est impossible de ne pas voir dans le Victor Hugo de ces secondes Légendes une diminution de la vitalité poétique. […] V Ce n’est pas, du reste, la seule opinion qui diffère en moi de l’opinion de ces Corybantes forcenés, qui dansèrent si longtemps la Hugo, cette danse sacrée qui un instant remplaça la danse Saint-Guy… Une pièce intitulée Vision, qui ouvre, c’est vrai, le volume avec une majesté grandiose, a fait, selon moi, beaucoup trop croire à la toute-puissance visionnaire du poète (dans le sens prophétique et divinement inspiré du mot). […] Il y a, dans cet incroyable recueil de quatre mille vers, de la même mesure à l’exception d’un très petit nombre de morceaux, beaucoup de pièces où le virtuose n’a eu besoin que de poser légèrement son archet sur les cordes de son violon pour que les cordes, impalpablement touchées, aient chanté. […] Car l’Énormité, voilà l’écueil de Victor Hugo… L’écueil, pour les poètes comme pour les rois, vient de trop de puissance… Dans cette double pièce de vers intitulée Le Cheval qui commence et finit ce volume, d’une composition si peu surveillée qu’on y trouve une pièce qu’on dirait oubliée de La Légende des Siècles, — un Souvenirs des vieilles guerres ; dans cette pièce de vers où le poète, pour faire du neuf à bon marché, a démarqué le linge de Boileau (procédé peu fier pour le chef de l’école romantique) et appelé Pégase un cheval au lieu de l’appeler bravement cheval, Hugo, enchaîné à ce mot d’énorme comme le coupable à l’idée de son crime, adresse à Pégase ce vers singulier : Ta fonction, c’est d’être énorme !

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