Il n’y a pas d’idées, de sentiments qui vaillent la peine d’être préférés : il y a des phrases qui méritent d’être écrites, des phrases belles, des phrases bien faites. […] Il est des jeunes gens qui écrivent d’un style naturel et simple, quand ils s’abandonnent, et ne songent pas à ce qu’ils font : quand ils croient penser, quand ils veulent écrire, arrivent les grands mots et les belles phrases, le style drapé, guindé, important, à moins que ce ne soit le langage maniéré, alambiqué, quintessencié, qui coupe les idées en quatre, et danse sur les pointes d’aiguilles. […] Comme une partie de l’énergie des mots s’écoule et s’évapore par l’indécision de la phrase, lâche, coupée de mots inutiles, il faut forcer les termes, en choisir qui aillent au-delà du sentiment, afin qu’ils ne tombent pas en deçà. […] « Il faut, dit Joubert, assortir les phrases et les mots à la voix, et la voix aux lieux. Les mots propres à être ouïs de tous, et les phrases propres à ces mots, sont ridicules, lorsqu’on ne doit parler qu’aux yeux et pour ainsi dire à l’oreille de son lecteur. » On ne parle pas devant cent personnes comme devant une seule ; le choix de mots, la correction de phrases, qui sont nécessaires, quand on écrit, deviennent ridicules quand on cause ; et je ne sais pas de gens plus fastidieux que ceux qui, dans la conversation, parlent comme un livre.