Là où d’Aguesseau me paraît supérieur et presque original par la combinaison et la mesure qu’il y apporte, c’est dans les considérations philosophiques dont il ne sépare jamais la morale et la religion. […] Il rapporte et balance longuement et avec une complaisance marquée, en chaque question philosophique, toutes les raisons de part et d’autre ; il va jusqu’à entrer dans les idées de l’adversaire, pour mieux les rectifier et les redresser. […] Il se reproche en un endroit assez vivement de n’avoir pas étudié, comme il aurait dû, l’histoire ; malgré les emplois importants dont il fut de bonne heure chargé, il aurait certes pu le faire encore : « Mais, d’un côté, les charmes des belles-lettres qui ont été pour moi, dit-il, une espèce de débauche d’esprit, et, de l’autre, le goût de la philosophie et des sciences de raisonnement, ont souvent usurpé chez moi une préférence injuste… » Pourtant, il s’en fallut de peu, nous raconte-t-il agréablement, qu’il ne se ruinât tout à fait dans l’esprit du père Malebranche, qui avait conçu une bonne opinion de lui par quelques entretiens sur la métaphysique ; mais ce père le surprit un jour un Thucydide en main, non sans une espèce de scandale philosophique.