Moins peintre que La Bruyère, Vauvenargues a un plus grand dessein, un dessein plus philosophique : il ne veut pas simplement observer les hommes de la société dans leurs variétés, en donner des portraits, des médaillons finis, en faire le sujet d’une suite de remarques profondes et vives ; il envisage l’homme même, et voudrait atteindre au point où bien des maximes qu’on a crues contradictoires se rejoignent et se concilient. […] Quelles qu’aient pu être antérieurement les opinions par lesquelles il avait passé, Vauvenargues, à cette date de 1746 et jusqu’à sa mort, était donc et demeura dans des sentiments religieux, élevés, mais philosophiques et libres. […] Il ne pouvait certes, légitimement, être invoqué à l’appui des opinions de la propagande philosophique, celui qui a dit : « Le plus sage et le plus courageux de tous les hommes, M. de Turenne, a respecté la religion ; et une infinité d’hommes obscurs se placent au rang des génies et des âmes fortes, seulement à cause qu’ils la méprisent ! […] En face de l’Encyclopédie, du livre d’Helvétius, des premiers paradoxes de Jean-Jacques Rousseau, et de cette croisade philosophique universelle, qu’aurait fait, qu’aurait dit Vauvenargues ?